Vers un stage de MG en zone rurale ?
Une table ronde organisée par l’Observatoire Universitaire en Médecine Rurale (OUMRU - UNamur) s’est penchée sur une question lancinante dans le contexte des pénuries de médecins généralistes en zone rurale : faut-il et peut-on remplacer les six mois de stage hospitalier obligatoires en formation de médecine générale par un stage en zone de pénurie ? La littérature internationale nous pousse dans cette direction…

Comme chacun sait, le cursus de médecine générale en Belgique a été modifié sous injonction de l’Union européenne (directive 2005/36/CE). C’est désormais trois années de spécialisation après six années d’études, bachelier et master (3+3+3). S’y ajoutent minimum six mois de stage hospitalier et six mois de pratique ambulatoire. La directive européenne impose explicitement six mois minimum en hôpital pour la formation en médecine générale. Toutefois, une disposition clé (l'article 28) permet « d’intégrer jusqu’à un an de pratique ambulatoire dans la formation hospitalière, lorsqu’il s’agit d’une pratique de soins primaires reconnue ».
L’OUMRU a rassemblé un panel d’experts pour répondre à cette question : ces six mois de stage en hôpital peuvent-ils être totalement ou partiellement transformés en un stage en milieu rural ?
La littérature internationale est sans équivoque à cet égard : si un MG fait un stage en milieu rural, les probabilités qu’il s’y installe augmentent (de trois à six fois plus probable, selon le pays d’étude : Australie, Etats-Unis, Canada et Espagne). L’Université rurale d’Ontario fait même mieux puisque deux tiers de ses diplômés restent dans le Nord ruralisé pour seulement 4 % pour les autres facultés.
Divers facteurs y contribuent : l’origine géographique du médecin, les incitants financiers, les conditions d’installation et, surtout, le parcours académique. Les experts y voient un « pipeline » menant à la ruralité. Pour autant qu’on sensibilise l’étudiant dès le secondaire, qu’on applique des quotas spécifiques, des cours sur la médecine rurale en faculté, une immersion prolongée et des stages ciblés.
Les pôles d’accueil
Encore faut-il soutenir le jeune médecin sur le futur lieu d’installation. L’UNamur a mis au point une structure d’accueil pour faciliter les stages en zone de pénurie. Elle comprend logement local, transport organisé et maîtres de stage.
Les pôles d’attraction sont d’ores-et-déjà capables d’accueillier plusieurs dizaines d’étudiants. Au fond, le principe est simple : exposer le médecin à la réalité du terrain mais lever les barrières logistiques (mobilité, logement, coût). Fort de cette superstructure, on peut proposer une alternative crédible au stage hospitalier obligatoire.
Définir la pénurie : une approche scientifique complexe
Objectiver la pénurie reste toutefois une opération complexe. Des géographes de l’UNamur emmenés par Catherine Linard ont présenté une analyse très fine du phénomène. Ils ont calculé simultanément la densité médicale, l’accessibilité géographique, le degré de ruralité, la charge de travail et l’accueil de nouveaux patients et, enfin, les caractéristiques socio-économiques des zones étudiées.
Les seuils officiels de pénurie sont les suivants : moins de 90 MG/100.000 habitants ou moins de 120 MG en zone < 125 hab/km², ou encore moins de 180 MG en zone < 75 hab/km². Selon ces critères, on s’aperçoit que plus de la moitié des communes wallonnes sont toujours en pénurie. Les experts calculent ensuite « l’accessibilité potentielle localisée » (APL) inspirée d’une méthode de l’IWEPS (Institut wallon d’études et de prospective statistique). En gros, l’APL calcule la « patientèle théorique » autour de chaque cabinet dans un rayon de 10 km et le nombre de médecins effectivement accessibles par km². On aperçoit alors sur les cartes des zones où la densité paraît correcte mais où l’accessibilité réelle est très faible.
Les Fonds Impulseo
Impulseo offre un montant de 20.000 à 25.000 euros sous condition. Il peut répondre à une commune en pénurie avec :
- Soit moins de 90 MG par 100 000 habitants ;
- Soit moins de 125 habitants par km² et moins de 120 MG par 100.000 habitants ;
- Soit moins de 75 habitants par km² et moins de 180 MG par 100.000 habitants.
Évolution du paysage médical
L’AViQ (Agence pour une Vie de Qualité) a rappelé les éléments qui aggravent les pénuries et qui sont désormais connus : féminisation massive (66 % des MG de moins de 55 ans sont des femmes), rajeunissement progressif mais vieillissement parallèle (les <35 ans et les >55 ans atteignaient 88 % du contingent en 2024), turn-over faible (les nouvelles installations de jeunes médecins (<30 ans) stagnent autour de 3–5 % par an), impact des retraites (en retirant les MG >65 ans, la proportion de communes en pénurie grimpe brutalement de 52 % à 67 %).
Autrement dit : Les pénuries sont durables et multifactorielles. La formation actuelle reste centrée sur l’hôpital, alors que la pratique réelle du généraliste est essentiellement ambulatoire. L’expérience internationale démontre que seuls des parcours académiques orientés systématiquement vers la ruralité ont un impact tangible. Les six mois hospitaliers constituent aujourd’hui un verrou réglementaire majeur, alors que les besoins de terrain se situent ailleurs.
La bataille se gagnera par le consensus et non par l’opposition frontale.
La matinée conclut sur la nécessité de concilier l’offre et la demande : accessibilité réelle pour les patients, attractivité pour les médecins, et optimisation du cadre réglementaire. Les travaux en cours à l’Observatoire visent à intégrer les deux perspectives - celle des patients (perception de l’accès) et celle des médecins (attraits et obstacles) - afin d’éclairer objectivement la réforme des stages de médecine générale.
La table ronde (lire sur notre site) a fait ressortir une idée centrale. La bataille se gagnera par le consensus et non par l’opposition frontale : consensus entre généralistes et spécialistes, entre universités, entre francophones et flamands, entre majorité et opposition. La modification de l’obligation de stage hospitalier est perçue comme un premier « pied dans la porte » pour aborder plus largement la pénurie, la planification du nombre de médecins (via les commissions de planification fédérale et régionale) et la reconfiguration des soins de première ligne.
Le symposium s’est conclu par une « déclaration commune » appelant à supprimer des stages hospitaliers pour les réaliser en milieu rural.